Savoir-faire

Savoir-faire

Matières

Matieres

La porcelaine tendre est la terre que je travaille le plus. La blancheur, la translucidité et la douceur du kaolin me conviennent bien au tournage. Mais c’est une pâte très exigeante, sans beaucoup de plasticité, ce qui suppose un geste sûr. La porcelaine a d’ailleurs une forme de mémoire du geste : après la cuisson, elle peut exprimer un état du tournage antérieur à l’état final, dont elle aura gardé la trace. Pour les très grosses pièces, j’utilise le grès, en particulier un grès de Saint-Amand. Le grès porcelainique est arrivé aussi depuis peu sur mon tour, et il combinera peut-être les qualités de l’une et de l’autre, nous allons voir, je suis en train d’en prendre connaissance.

Formes

Formes

Je fais des objets qui servent. La poterie au sens latin du terme renvoie d’ailleurs à cette idée de contenu, et étymologiquement le mot céramique qui vient du grec signifie contenant – donc fait pour contenir. Ce sont des bols, des coupes, des vases, des assiettes, des coupelles, des pots, des tasses… Mes sources d’inspiration en matière de poterie sont nombreuses, mais le plus souvent je vais puiser vers l’Orient. Et comme Charlotte Perriand l’a fait dans les années soixante, je cherche dans des formes populaires simples ce qu’il s’y trouve d’essentiel.

Il m’arrive d’étudier une pièce de musée pendant des mois, afin de me mettre quasiment dans la peau de celui qui l’a réalisée. Puis tout cela est métabolisé, et transposé, transformé dans mes propres formes, qui sont le plus souvent très épurées. Mon exploration de formes se fait aussi par l’observation de la nature – presque par l’imprégnation – ou de volumes qui n’ont rien à voir à priori avec la poterie, comme ces tasses en formes d’Arums.

Autre exemple, depuis quelques mois, une fois certains bols tournés, surtout des pièces très fines, je ressens la nécessité de venir altérer leur forme ronde d’un coup de doigt ou d’estaque sur le bord – un coup précis et sec. Et comme on dit qu’une note est altérée, qu’un fa devient fa dièse par exemple, ces bols sont alors altérés au sens où ils résonnent différemment, et où ils donnent une sensation augmentée de fragilité visuelle.

Il m’est arrivé de fabriquer certaines pièces pour des usages particuliers que l’on me décrivait. Quelqu’un du quartier m’a ainsi une fois demandé un bol spécial, et une théière, pour le thé qu’il buvait tout au long de la journée – un litre précisément, chaque jour.

On me passe aussi parfois commande de services de table complets, pour lesquels la régularité des pièces doit être totale, ce qui est difficile car je ne travaille jamais au moule. Ce sont des ensembles assez fastueux, très festifs, à la limite du précieux, mais ils ne perdent pour autant rien de leur caractère utile.

Couleurs

couleurs

Depuis des années, à vrai dire depuis presque quinze ans, je travaille entre autres les émaux orientaux, le tenmoku, le goutte d’huile, le bleu de fer, le jaune de fer, le blanc calcaire, le blanc titane et le kaki. Ce sont mes lignes de base, presque mes lignes de force. Au fil de longs tâtonnements, j’ai réussi à apprivoiser ces couleurs et ces émaux à partir de leurs formules moléculaires, mais enfin, bien que les connaissant maintenant de très près, ils me réservent encore des surprises.

Feu

feu

Une pièce une fois tournée, c’est à dire à l’état d’ébauche, doit d’abord sécher, lentement, régulièrement sans quoi elle se fend, elle sèche donc jusqu’à avoir la consistance du cuir pour être alors tournassée (moment ou l’on ébarbe l’argile afin de sculpter le pied). Puis on la cuit une première fois (c’est la phase biscuit ou dégourdi), ensuite on l’émaille et une seconde cuisson intervient alors à 1280°. Pour la porcelaine, cette seconde cuisson prendra pas moins de trois jours, ce qui est le temps nécessaire pour que la température monte, que la cuisson se fasse et qu’enfin la température lentement redescende. La céramique est, comme on dit banalement, un art du feu alors que ce n’est pas du tout banal de travailler avec le feu.

Le feu est mon partenaire le plus puissant, le plus impérieux : il est comme un chef d’orchestre, qui, en fonction de tous les éléments réunis dans une pièce (terre, tournage/gestes, forme, séchage, émaillage…), apporte la résolution finale, donne l’approbation ou la refuse. Le feu montre où sont les forces et les défauts. Du feu j’apprends bien des choses.

Il me semble que je suis située à cet endroit-là, entre la terre, l’eau et le feu, trois éléments fondamentaux. L’air et le métal (dont sont faits les émaux) entrent aussi dans ces processus de création. Tous les éléments sont donc présents dans le plus minuscule bol de porcelaine.

Motifs

motifs

Tourner, tournasser, cuire, émailler, sont les étapes indispensables de la céramique, et décorer en est une autre encore qui n’est, pour moi, pas systématique. Ce sont principalement des grès que je grave, et j’ai mis au point pour cela des poinçons, des outils anciens détournés et réorientés vers la terre. Je travaille autant le relief que le creux. Il m’arrive aussi d’ajouter sur des pièces des motifs à la plume, métallique, après les deux cuissons traditionnelles (biscuit puis émail). Une troisième cuisson fixe ensuite ces décors. Un tel processus de calques successifs sur une même pièce est passionnant. La poterie finie devient alors, plus que jamais, un temps concentré, tout comme l’écriture. J’ai également commencé voilà quelques années un travail particulier avec des dentelles anciennes chinées sur des marchés à la campagne. J’en fais des empreintes sur des vasques et des bols en porcelaine, alors que la terre est encore crue et humide. Une fois cuites et devenues porcelaines, ces dentelles, fragiles, périssables, gagnent tout à coup en pérennité, cependant elles ne perdent rien de leur fragilité, celle-ci a  » simplement  » muté dans une autre matière.

Mouvements

mouvements

Mon travail est pris dans un mouvement, à tous les sens du terme. Mouvement physique puisque le plateau du tour tourne… et que rien ne serait possible sans cette force motrice, avec ses différentes vitesses. En face de la terre en mouvement sur le plateau, puis de l’objet, on a à trouver son équilibre, car on est à la fois dans ce mouvement et hors de ce mouvement pour pouvoir s’y conjuguer. Ces mouvements physiques et sensibles sont accompagnés, à intensité égale, d’un mouvement mental, et je ne suis de ce point de vue jamais à l’arrêt, chaque pièce existante ou à venir est pensée.

Echanger

Echanger

Faire de la poterie, c’est courir le risque de se centrer sur soi et rien que sur soi (tourner c’est comme la natation – une activité définitivement solitaire). Or je lutte contre cela, je ne pourrais pas vivre ainsi, et j’ai besoin d’échanges pour travailler, avancer.

Échange direct, comme avec un archéologue du musée de Cluny auquel j’apportais des réponses techniques sur les modes de fabrication de céramiques multiséculaires que je pouvais alors voir et tenir en main.

Plus direct encore, et plus concret, fut ce travail mené avec Franck Desplats où il y eut échange certes mais bien plus, une complémentarité heureuse, aboutissant à de belles séries d’objets. Franck Desplats est graphiste et peintre calligraphe. J’ai mis au point deux ou trois formes de bols et il est venu les décorer au pinceau avec les techniques de la céramique que je lui ai transmises.

Les échanges indirects sont aussi nombreux, et inopinés, je ne les calcule pas… mais ils se produisent. Par exemple, de la lecture d’un livre sur la préhistoire de l’écriture, j’ai repris sur des bols quelques-uns de ces signes provenant de la nuit des temps.